Association Yom Hashoah

La musique concentrationnaire

La musique composée dans les camps

La musique des camps définit la musique conçue en captivité ou dans des conditions de privation extrême des droits fondamentaux.

Elle rassemble la production musicale (lyrique, symphonique, musique de chambre, instrumentale, vocale et chorale) écrite entre 1933 et 1945 dans tous les camps (camps de transit, camps de travaux forcés, camps de concentration, camps d’extermination ou prisons militaires) situés en Europe, en Afrique, en Asie ou en Océanie.

Elle comprend toutes les musiques qui ont pu être retrouvées, que ce soit des travaux inachevés, des musiques écrites sous les ordres de commandants allemands ou des morceaux reconstitués après la guerre. Leurs auteurs sont de toute origine sans distinction nationale, sociale ou religieuse, qu’ils aient été discriminés, persécutés, emprisonnés, déportés et qu’ils aient été tués ou qu’ils aient survécu.

Pianiste et chef d’orchestre, Francesco Lotoro est né en 1964 à Barletta dans les Pouilles. Parmi ses réalisations, il a notamment fondé en 1995 l’Orchestra Musica Judaica. Et trente ans après l’occupation de la Tchécoslovaquie (1968 – 1998) il a enregistré les œuvres qui ont trait au Printemps de Prague.

Lorsqu’il découvre, il y a vingt ans, des œuvres de compositeurs juifs internés à Theresienstadt, le cours de sa carrière va radicalement changer. Bouleversé par cette musique il décide de la faire connaître. Il se lance alors dans un projet de recherche inédit : collecter et rassembler tous les morceaux écrits pendant la seconde guerre mondiale dans les camps et autres lieux de captivité. « Au début, je pensais trouver quelques chansons, peut-être un ou deux opéras », confie-t-il. « Je n’imaginais pas que la musique concentrationnaire recouvrait une réalité aussi vaste ». A ce jour, par des recherches minutieuses ponctuées de voyages et de rencontres, quelque 4’000 oeuvres ont été amassées et archivées par ses soins.

D’autres avant lui se sont attelés à rassembler la musique des camps. Francesco Lotoro s’est quant à lui fixé comme objectif la création d’une encyclopédie discographique de cet héritage. Il a enregistré 48 CD recouvrant des musiques de tous genres. Toutes les musiques écrites dans des camps y sont collectées de manière systématique ; que les compositeurs déportés aient été amateurs ou professionnels et sans critère quant à leur nationalité, leur religion ou la raison de leur emprisonnement.

Francesco Lotoro endosse avant tout le rôle d’un passeur. Un passeur de musique qui se fait mémoire vivante des trajectoires humaines de ces musiciens oubliés. Plus de 200 musiciens dont il connaît les biographies « par coeur ». « Permettre aux musiciens de continuer de travailler était aussi un moyen de mieux les contrôler » relève-t-il. Dans le camp d’Auschwitz il y a avait sept orchestres.

Nombre de musiciens ont été internés dans le camp de Theresienstadt. « Les Juifs pouvaient y organiser des concerts ou des représentations théâtrales. Un sursis qui ne durait jamais très longtemps. De nombreux compositeurs d’envergure, notamment les Tchèques Gideon Klein, Pavel Haas et Viktor Ullmann, y ont écrit quelques-uns de leurs chefs-d’œuvre avant d’être déportés à Auschwitz » (Tribune de Genève, 31.1.2008).

Certaines œuvres sont à comprendre à la lumière des conditions extrêmes dans lesquelles elles ont été créées. « Plusieurs d’entre elles », remarque Francesco Lotoro, « frappent par leur difficulté technique ». Les musiciens internés dans ce camp de concentration de Tchécoslovaquie n’avaient droit qu’à une demi-heure de piano par jour. Les compositeurs allaient alors à l’essentiel pendant ce court laps de temps : les partitions étaient donc souvent conçues dans leur tête, loin de l’instrument.

Certaines partitions n’ont survécu que par miracle. « Celles de Rudolf Karel nous sont parvenues couchées sur du papier hygiénique » raconte Francesco Lotoro. D’autres musiques n’ont pas de partition écrite. Elles n’ont survécu que dans la mémoire de rescapés (musiciens, acteurs, chanteurs) qui les connaissaient encore par coeur. Francesco Lotoro va à la rencontre de ces survivants. Il s’agit pour lui de retranscrire au plus vite ces mélodies, faute de quoi elles seront définitivement perdues.

En donnant une nouvelle vie aux œuvres, c’est, une façon pour Francesco Lotoro de rendre hommage à ces musiciens dont la plupart n’ont pas survécu. C’est un héritage pour l’humanité entière qu’il s’attelle ainsi à reconstituer. Un important devoir de mémoire qu’il mène pourtant depuis plus de vingt ans en solitaire, sans aucun soutien financier et où les difficultés rencontrées sont importantes. C’est aujourd’hui une course contre la montre alors que les derniers témoins se font plus rares. Francesco Lotoro sait que certaines pièces sont déjà irrémédiablement perdues.

Encyclopédie de la musique concentrationnaire : CD – Encyclopedia KZ Musik (48 CD – volumes, Musikstrasse Roma – Membran Hambourg)

Pour en savoir plus :

  • Chine Labbé, « Francesco Lotoro, mémoire vive de la ‘musique concentrationnaire’ », in Le Monde, 10 septembre 2008.
  • Luca Sabbatini, « La musique des camps sort du silence. Une ‘Bibliothèque de la littérature musicale concentrationnaire’ s’ouvre à Rome », in Tribune de Genève, 31 janvier 2008

Les « Violons de l’espoir »

Les « Violons de l’espoir », tel est le nom donné aux violons survivants de la Shoah auxquels Amnon Weinstein consacre une grande partie de sa vie. Depuis une dizaine d’années ce Maître luthier israélien recherche et restaure ces instruments ayant appartenu à des musiciens juifs disparus notamment dans les camps de concentration ou les ghettos.

Ces violons construits par des artisans de Pologne, d’Ukraine ou de Russie sont passés de mains en mains. Ils ont brillé sur des scènes de concerts, ont été ternis par la pluie et le froid des rues ou fait danser dans les mariages. Ils étaient presque tous entièrement détruits lorsqu’ils ont été retrouvés, avant d’entamer une nouvelle existence dans l’atelier du luthier.

Il a parfois fallu à celui-ci des années pour décrypter l’histoire d’un violon. Certains resteront muets à jamais… D’autres ont accepté de livrer leur histoire. Comme celui trouvé au pied d’un mirador d’Auschwitz sous les barbelés, qui appartenait à l’orchestre des détenus juifs avant d’être déposé par un soldat américain dans un entrepôt militaire. Certains encore ont été conservés à l’insu de tous dans des maisons du ghetto de Varsovie ou cachés dans les forêts d’Europe centrale.

Pour Amnon Weinstein, leur redonner vie c’est restaurer la mémoire des disparus. Car il a parfois également découvert l’histoire de ceux qui les ont frôlés de leur archet. Comme celle de Motele, 12 ans, unique survivant d’une rafle en Biélorussie, qui s’était caché dans la forêt en serrant contre lui son étui à violon, son seul compagnon…

Pour en savoir plus :   http://www.violinsofhope.org/index_f.php

Les compositeurs

Robert DAUBER

Né probablement en 1922 à Prague. Son père, le violoncelliste Adolf Dauber, était membre du célèbre Quatuor Ledeč qui comprenait Egon Ledec et les violonistes Viktor Kohn et Adolf Kraus. Inspiré par les arrangements de son père, Dauber s’identifia progressivement à la musique légère. A la différence des ses parents qui purent rester à Prague, il fut déporté à Theresienstadt. Violoncelliste et pianiste, il fonda au camp de concentration un quatuor à cordes (comprenant, outre lui-même, les violonistes Pavel Kling et Max Bloch et l’altiste Parkus) ainsi qu’un trio avec piano. Plusieurs lettres adressées à ses parents révèlent son activité musicale. Au début de l’année 1945, il fut déporté à Dachau, où il mourut du typhus.

Frantisek DOMAZLICKY

Né le 13 mai 1913 à Prague, le violoniste, trompettiste, accordéoniste et compositeur fut déporté à Theresienstadt en novembre 1941. Il y composa Pisen beze slov pour quatuor à cordes (1942), Pisen maje pour cœur d’hommes (1942-43) et l’ouverture Petriana pour orchestre. Il fut ensuite déporté à Auschwitz, Schwarzheide et Orianenburg. Il survécut et reprit ses études de violon et composition après la guerre.

David GRUNFELD

Né en 1915 à Uzhorod (Ruthénie). Chanteur très demandé avant la guerre, il fut déporté à Theresienstadt où il participa à la vie musicale du camp. Il assumait entre autres le rôle de Pierrot dans Der Kaiser von Atlantis de Viktor Ullmann quand les répétitions furent interrompues par les autorités allemandes d’occupation. Déporté à Auschwitz le 28 octobre 1944, il survécut et s’établit ensuite aux Etats-Unis où il continua sa carrière sous le pseudonyme de David Garen. Il mourut à Huntington (Long Island) le 6 juin 1963.

Ludmila KADLECOVA PESCAROVA

Née le 4 février 1890 à Sobotkovice (République Tchèque). Elle fit ses études à l’école normale de Litomysl (Leitomischl) et, de 1912 à 1933, elle enseigna à Rajhrad (près de Brno). En 1943, elle fut déportée et emprisonnée à Ravensbrück où elle resta jusqu’en avril 1945. Musicienne amateur, elle écrivit entre autres des chansons pour chœur féminin. Après la guerre, elle rassembla ses œuvres musicales dans une collection. Elle mourut à Rajhrad le 22 juin 1987.

Rudolph KAREL

Né le 9 novembre 1880 à Pilzen (République Tchèque). Après des études de droit (1891–1899), il continua d’étudier avec Karel Knittl, Joseph Klicka, Karel Stecker et Karel Hoffmeister à l’Université Charles et au Conservatoire de Prague. Pendant sa dernière année de Conservatoire (1904), il fut l’élève d’Antonin Dvorak. Lorsque la Première Guerre mondial éclata il était en vacances à Stavropol (Russie) et ne pu retourner dans son pays. Par la suite et jusqu’en 1917 il enseigna la musique, notamment à Rostov. Soupçonné d’être un espion autrichien, il fut emprisonné mais réussit à s’évader.

Josef KROPINSKI

Né le 28 décembre 1913 à Berlin. Il fit ses études musicales à Bydgoszcz en Pologne. Le 7 mai 1940, il fut arrêté pour avoir publié un journal clandestin, et déporté à Auschwitz puis, en 1945, à Buchenwald où il rencontra Bruno Apitz et Kazimierz Wojtowicz. Il écrivit environ 300 pièces musicales : des chansons, des quatuors, des morceaux pour piano et orchestre, etc. Après la guerre, il s’établit à Wroclaw où il travailla dans une entreprise agricole. Sa musique tomba pratiquement dans l’oubli. Néanmoins, en 1963 l’Akademie der Kunste de Berlin publia quelques-uns de ses morceaux, qui firent ensuite partie intégrante du film KZ-Songs d’Erwin Leiser. Le compositeur mourut à Wroclaw le 8 octobre 1970.

Hugo LOWENTHAL

Né le 13 juillet 1875 à Prague. Il fut déporté à Theresienstadt le 8 février 1942. Entre le 5 et le 16 mai de la même année, il y écrivit des adaptations pour violon et accordéon des Traditionnelle Weisen für Pesach, Schwuos und Sukkot. Le 13 juin 1942, il fut transféré dans un camp polonais non identifié à ce jour, où il mourut vraisemblablement peu de temps après.

Vilem ZRZAVY

Né en 1895 à Prague. Il fut déporté à Theresienstadt le 10 décembre 1941. On ne sait pas s’il y a pratiqué une activité musicale. Les documents du lieu commémoratif de Theresienstadt confirment qu’il fut boulanger. Sa carte de transport certifie qu’il fut employé dans le département de l’emballage du camp. Le 28 avril 1942, Vilem Zrzavy et sa femme furent conduits à Zamosc où il est probablement décédé.

Source :

Encyclopédie de la musique concentrationnaire :

CD – Encyclopedia KZ Musik (48 CD – volumes, Musikstrasse Roma – Membran Hambourg)